Dada et
la guerre
«Détruire un monde pour en mettre un autre à sa place, où plus rien n’existe, tel était était en somme le mot d’ordre de Dada»
Georges Ribemont-Dessaignes, Déjà jadis ou Du mouvement dada à l'espace abstrait, 1958
Les rois du monde réclament leurs bouffons. L’heure de la bataille DADA contre les GAFA a sonné. Google, Apple, FaceBook, Amazon, méfiez-vous: les DADA sont là. Pour vivre l’absurde bataille pleinement, munissez-vous de votre téléphone portable et placez-le devant votre écran (sinon, les touches D et A de votre clavier feront très bien l’affaire). Et puis, dansez. Dansez. Dansez. Jusqu’en bas. Tout en bas, et bien fiers ! Go, DADA, go !
Dada
1916
Dada et les marionettes
Déverrouillez les cerveaux pour les rendre enfin disponibles aux défis du moment… Voilà en substance ce qu’on pouvait lire sur une affiche dada. A une époque radicale, Dada se faisait le héraut d’un art radical, avec un nouveau langage, de nouvelles formes, et par-dessus tout, une nouvelle vision de l’art et de nouvelle exigences.
Dada ne voulait pas engendrer un art compatible avec les salons bourgeois, un art qu’on admirerait au musée. Dada ne visait pas le beau ou l’« esthétique ». Un art qui n’entendait pas câliner son public mais le secouer pour le tirer de sa torpeur, intervenir dans sa vie, provoquer quelque chose. Un art protestataire.
Dada était une réaction à la Première Guerre mondiale, catastrophe d’une ampleur alors sans précédent. Les nations s’entretuaient en mobilisant toute la panoplie du progrès technique – blindés, mitrailleuses et gaz asphyxiants. La guerre a fait 17 millions de victimes et d’innombrables invalides. Bien des œuvres du mouvement Dada se réfèrent directement à ce conflit.
Comme ce Soldat de la garde de l’artiste suisse Sophie Taeuber, une des 17 marionnettes dada réalisées en 1918 à Zurich pour la pièce Le Roi cerf. Ce « garde » est un être « technique » aux formes géométriques réalisé en bois tourné et recouvert de peinture « métallique ». Cinq têtes mais pas de visage, c’est l’incarnation de la machine de guerre moderne à laquelle personne ne peut échapper. Dotée de cinq jambes et de cinq bras tous armés d’une batte, cette marionnette peut aller dans toutes les directions et attaquer de toute part, et ce simultanément. Grâce aux œillets métalliques qui lui servent d’articulations, ses mouvements sont illimités : une force de frappe anonyme, absolue. Un symbole qui n’a malheureusement rien perdu de son actualité.
Dada
2016
Google domine le savoir, Amazon contrôle la marchandise, Facebook fiche, et Apple rafle la mise.
Quelque part dans la Vilicon Salley, Californie, quatre géants sourient à chacune de nos connexions. Dans la Vallée des vilains, enviés et jalousés, on les surnomme les GAFA — pour Google, Apple, FaceBook, Amazon. Ces compagnies plus puissantes que certaines nations du G20 constituent à la fois notre salut digital et notre vertige numérique; un monde totalitaire, et de libération; un univers fou, intriguant comme un poste de douane désaffecté et intrépide comme une trotteuse au-dessus de nos têtes qui nous sommerait d’être de tous les instants.
Google domine le savoir, Amazon contrôle la marchandise, Facebook fiche, et Apple rafle la mise.
Tristan Tzara, d’une autre trempe visionnaire qu’un Steve Jobs, nous avait bien prévenus (1920): «Les banquiers du langage recevront toujours leur petit pourcentage sur la discussion». Il est temps de passer à la caisse, camarades des mers troubles, du web profond, et des tréfonds de la marchandise. Oumba, oumba ! Levons-nous, tels des pantins désarticulés, et lançons-nous avec entrain dans la dernière chose qui nous reste à faire: danser.
Danser jusqu’à plus soif, tout modem allumé. DADA, c’est tout à fond.
Danser comme s’agitait l’artiste Sophie Taeuber sur la minuscule scène du petit Cabaret Voltaire révolutionnaire. Taeuber, aussi créatrice de marionnettes futuristes telle The Guard (la Garde), ici (re)présentée.
Greil Marcus, notre anti-guide de notre anti-musée, le DADA-Dépot, résume: « Dada est une prophétie, mais qui n’avait aucune idée de ce qui était prophétisé, et sa force était de ne pas s’en soucier. »
Une Danse DADA, moins pour transformer la technologie — comme les DADA, l’art — que pour modifier les conditions de sa production, et de notre perception — comme les DADA, leur époque —; danser et danser encore pour changer nos usages et notre vie connectée. Danser en riant aux éclats devant les demi-Dieux qui se prennent pour des Sur-Hommes, les prophètes de malheur tout en couleurs: Jobs, Bezos, Zuckerberg, plus DADA que nature.